De novembre 2012 à novembre 2013, j'ai occupé la fonction de Secrétaire National du Parti Pirate. Ce rôle consistait, après la suppression du rôle de président[1] à reprendre une partie de ses missions (à l'exception de la représentation du Parti face aux médias qui revenait aux Porte-paroles) ainsi que l'ensemble des missions qui revenait avant au secrétaire.

Ce rôle permet ainsi de scinder le poste de Président, ce qui est une bonne chose, mais charge le poste de secrétaire de manière significative et lui demande une importante disponibilité.

L'amendement #13

Précédemment, lors de l'AG d'octobre, j'avais été le porteur d'un amendement (#14) qui proposait de diluer un peu le rôle du Bureau (BN) en redonnant la décision politique à l'ensemble des adhérents à travers un travail prenant la forme de commissions et de Sections Internes. Cet amendement était proposé à coté d'un autre (#13) qui allait plus loin, supprimant complètement le rôle politique du Bureau en créant une Coordination Nationale des Sections Locales et Internes (CN). Ce second amendement mettait en avant la "do-o-cratie"[2].

Ces deux amendements étaient décriés par l'équipe en place, qui ne voulait ni de l'un, ni de l'autre. La préparation de l'AG a été une période très conflictuelle, au cours de laquelle il a fallut se battre pour que ces amendements soient intégrés au vote, que leur argumentaire soit intégré à la convocation et qu'un temps de débat leur soit accordé. Au terme de l'AG, un vote par Schulze[3] a donné sa préférence à l'amendement #13 (l'amendement #14 étant second et le statu-quo, troisième).

C'était donc une sorte de défi car sans avoir soutenu l'amendement #13, j'y étais associé malgré moi. De plus, l'amendement #13 supprimait l'élection du Bureau où j'aurai du être élu et effectuait à la place une désignation par la Coordination des Sections. Il y a eu de nouveau une élection et j'ai été choisi au rôle de Secrétaire National avec un co-responsable en binôme. La plupart de l'ancienne équipe a refusé d'intégrer le Bureau avec nous et nous sommes retrouvés à 10 au sein du Bureau pour gérer ces mutations.

Le fonctionnement administratif d'un Parti Politique

En France, un Parti Politique c'est deux associations : une association loi 1901 qui a pour objet de présenter des candidats aux élections et d'agir sur le plan politique et une autre association (loi 1901 aussi) qui elle a pour seul objectif de collecter les dons, établir les reçus fiscaux et les reverser au Parti. La seconde se nomme une Association de Financement (AF) et doit être déclarée et validée auprès de la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (cnccfp) pour le Ministère de l'Intérieur.

Ce n'est pas si compliqué mais cela implique beaucoup de contraintes légales, comme notamment l'interdiction de recevoir une aide - même en nature - d'une entité morale (entreprise ou association). Ce qui peut clairement rendre l'organisation d'une assemblée générale beaucoup plus compliqué qu'ailleurs : en plus de faire voter les mesures politiques, il faut beaucoup de soin sur les rapports de gestions, la validation des commissaires aux comptes, de la cnccfp.

Pour les élections, il y a aussi tout un processus à respecter : lors des élections législatives, nous avons eu plusieurs candidats qui n'ont pas rendu à temps le carnet à souche rendant compte des donations. Cette négligence a coûté à certains candidats jusqu'à trois ans d'inéligibilité (chose que certaines personnalités politiques ont eu pour des cas de corruption et de fraude avérée).

Il faut donc constamment faire la morale et être le porteur des messages démotivants comme le refus d'une salle gratuite, d'un prêt de matériel, etc. Tout en voulant décentraliser les décisions (voire par exemple la règles dites "des trois pirates"[4]), il fallait donc avoir les yeux partout, surveiller et parfois réagir. Souvent, lorsqu'il était possible de s'y prendre à l'avance, la mission consistait à aider à la mise en œuvre... mais difficile d'aider sans se retrouver à co-porter le projet comme si j'avais été à l'initiative de l'idée.

Autre difficulté : la responsabilité légale (et morale) qui incombe aux mandataires de l'association. Cela va de l'obligation de faire attention aux échanges téléphoniques (sans être un personnage dangereux ou inquiétant, il y a une exposition politique qui implique une certaine retenue) aux menaces de procès si un adhérent engage l'association dans certains propos ou certaines actions. Difficile d'être subversif tout en étant une organisation officielle, organisée de manière à être transparente aux yeux du pouvoir. Il faut donc aussi savoir parfois ne pas être au courant de certaines actions ou inviter des adhérents à ne pas assumer certaines choses au nom du Parti. Nous avons aussi du mettre en place des adhésions à zéro euro pouvant servir aussi aux personnes qui ne veulent pas que les gouvernements (en France ou à l'étranger où parfois ils résident) soient informés. Cela implique aussi un usage très contraignant pour tous les membres occupants des responsabilités de l'outil PGP (qui permet de chiffrer et de signer ses mails) ou le refus de certains outils collaboratifs comme google drive, ...

Le fonctionnement interne d'un Parti Politique

Un Parti, ce n'est pas une bande de potes. Heureusement, des liens se créent, des amitiés même, mais il faut bien comprendre qu'une incompatibilité d'humeur est insuffisante pour proposer à un adhérent de partir. Et même au delà : notre déclaration de politique générale et nos règlements sont à lire avant toute adhésion mais si un adhérent adhère tout en étant en désaccord avec certains éléments clefs de ces textes, il a le droit de rester adhérent et de militer en interne pour que ces éléments évoluent. En tant que responsable national (avec un rôle purement administratif), il est difficile de ne pas avoir une attitude équitable et avenante avec toutes les bonnes volontés du Parti. Il faut donc parfois faire preuve de pédagogie et aider un adhérent à publier dans de bonnes conditions sa théorie darwiniste sur les prédispositions naturelles des hommes et des femmes afin qu'elle soit soumise au débat et au vote des adhérents. Cela fait un peu mal aux tripes ... mais c'est un devoir de cohérence lorsqu'on est un démocrate convaincu et qu'on veut lutter sur le champ des idées à armes égales.

Cela veut dire aussi qu'il faut gérer les égos des uns et des autres. Entre ceux qui se voient chefs de tout et ceux qui n'osent prendre la parole en réunion sans y avoir été invité deux ou trois fois. Il n'est pas facile non plus de refuser à quelqu'un d'agir au sein de toutes les équipes de travail plutôt que de focaliser son action sur des taches qu'il mènera au terme.

Enfin bref, la politique interne d'un Parti Politique, c'est déjà tout un écosystème. Le plus difficile à gérer, c'est la notion de "je", de "nous" et de "vous" : pour certains adhérents, il y a un subtile mélange d'énonciation selon qu'ils s'associent à une victoire (je) ou à une défaite (vous). C'est extrêmement démotivant alors qu'on aimerait utiliser le "nous" pour tous les bilans, bons ou mauvais. Parfois, avant même que l'action soit terminée, le défaitisme l'emporte et selon la personnalité, certains se retirent discrètement (préférant se retirer par lassitude, sans forcement faire esclandre) et d'autres dénoncent bruyamment des décisions qu'ils n'assument plus (alors qu'ils en étaient bien souvent à l'origine). C'est très déplaisant et alors qu'on a l'historique de ces revirements, on aimerait rendre cela public ou du moins forcer tout le monde à continuer de faire bloc (et parfois accepter un échec pour en tirer les enseignements). Difficile car si certains fuient, beaucoup arrivent aussi et il faut les former, les motiver et leur trouver une place à la hauteur de leurs qualités. Ce turnovers est la norme dans tous les partis, mais alors que certains gros partis offrent des facilités (mandats électifs, rémunérations, permanences, tracts, salles...), le Parti Pirate a peu à offrir : il est donc plus facile de partir et de croire qu'on sera plus efficace seul ou dans une organisation associative (sans les lourdeurs administratives expliquées plus haut).

En définitive, le tableau n'est pas toujours positif mais il est toujours en progression : le Parti Pirate participe à de plus en plus d'organisations complexes. Depuis 2011, lorsque l'association a été reconnue en tant que Parti Politique, chaque AG était l'occasion de déchirements. En 2013, cela n'a pas été le cas avec une passation bienveillante. En 2012, l'élection législative avait motivé 101 candidats (et 101 suppléants) sur l'ensemble de la France. Pour les municipales, nous avons réussi à former des coalitions citoyennes jusqu'à 61 dans une même ville. Sur le terrain, nous avons eu notre premier char à la marche des fiertés (gay pride) lors de la manifestation de 2012 (avec selon les participants "le meilleur son de la marche"[5]) ainsi que beaucoup d'action plus petites telles que 4/04 Democraty Not Found, le travail sur les lanceurs d'alerte (rebaptiser des rues, apprendre à se protéger des renseignements généraux, ...), des conférences (Crowdfounding, démocratie, ...), etc. Pour les européennes, nous sommes en ordre de marche avec des listes complètes et notamment la constitution d'un Parti Pirate Européen le 21 mars 2014.

Nous partons d'une démarche citoyenne, tout en traçant une nouvelle manière de faire la politique (suppression des personnalités politiques au profit du programme et de la participation des citoyens). C'est une démarche de continuel essai-erreur : nous ferons par la suite encore plus d'erreurs que par le passé car plus nous feront d'erreurs, plus nous gagnons en expérience et plus nous renforçons nos victoires. Ne pas avoir peur de se tromper, c'est une manière de savoir évoluer plus rapidement.

Bilan de cette expérience

C'est extrêmement chronophage. J'ai eu peu d'aide de mes binômes (le premier a démissionné et le second n'a pas réussi non plus à dégager de la disponibilité). Heureusement, plusieurs personnes ont bien voulu m'aider sur des taches ponctuelles (Adrien Havas, Stéphanie Geisler, et plusieurs autres). L'AFPP qui était à l'agonie au début du mandat a pu reprendre du service grâce à l'excellent travail de son président actuel (Christophe Cussigh-Denis). Du reste, certaines tâches inachevées et une promesse faite au début du mandat (débureaucratiser le Parti) où il faudra garder une vigilance constante.

C'est peu gratifiant. Si la présidence d'un parti permet une exposition médiatique gratifiante, le rôle de secrétaire l'est beaucoup moins. Il s'agit de rédaction d'ordre du jour, de compte-rendu, s'assurer que chacun est bien au travail et dispose de tout ce qu'il lui faut pour être efficace et dans les clous des décisions prises. Néanmoins certains reconnaissent tout de même ce travail (ce qui fait qu'on ne peut démissionner sans avoir peur de décevoir beaucoup de personnes quand même).

Enfin, des cotés positifs, c'est une expérience pleine d'enseignements sur les rapports humains et sur la gestion administrative. Sur le plan politique, c'est un engagement pour aller plus loin au niveau des rouages politiques (promouvoir la démocratie horizontale au niveau politique, c'est du blabla, la mettre en place à l'échelle locale d'un parti, c'est du concret et il faut apprendre à codifier les incohérences pour l'avenir).

Non renouvellement du mandat

J'ai fait le choix de ne pas postuler au renouvellement de ce mandat car je suis convaincu par le non cumul et je crois qu'il faut savoir dresser un bilan au terme du mandat et laisser le temps apporter du recul. C'était nécessaire aussi pour ma vie personnelle (création de mon entreprise) et pour me concentrer au niveau local sur l'élection municipale à Rennes et sur les autres enjeux en Bretagne, plus gratifiants et plus concrets (en déployant la même énergie au niveau local, j'ai pour espoir de pousser les élus à prendre en compte le besoin de démocratie).

Notes

[1] Le rôle de président du Parti Pirate a été supprimé lors de l'AG d'octobre 2012 à l'occasion d'une réforme des organes internes. Cette suppression a été faite pour coller au plus près de nos valeurs en matière de gouvernance collégiale (le président cumulant de manière structurelle une mise en avant trop forte à la fois en interne et en externe du parti).

[2] En do-o-cratie, ce sont ceux qui font et qui ont le plus de pouvoir de décision

[3] La méthode de Schulze est un système de vote développé en 1997 par Markus Schulze qui choisit un gagnant simple dans un vote avec classement des candidats.

[4] La règles des trois pirates consiste à dire que si trois adhérents veulent organiser une action, l'organisation doit les laisser faire et les y accompagner.

[5] Participation à la marche des fiertés avec exclusivement de la musique libre (sans taxe Sacem !)