La découverte des nuits debout
A Rennes le mouvement n'a pas pu se tenir dans la continuité de Paris à cause d'une répression politique très forte. C'est seulement le 5 avril qu'on a réussi à obtenir une légère tolérance du préfet...
Néanmoins, agacé que la préfecture nous ait obligé à nous placer sur l’esplanade Charles de Gaulle, un espace venteux, froid et commercial éloigné des symboles du pouvoir politique, je m'étais fixé comme objectif de faire voter le déplacement de l'événement sur une autre place. Vu la répression policière (voir même militaire) en place, le centre ancien était exclus mais après tout, pourquoi pas un jardin public ou une place excentrée dans un quartier plus populaire ? Cependant, naturellement (car il n'y avait strictement aucune organisation), les prises de parole se sont concentrées sur des témoignages, sur ce que vivent les personnes, et pourquoi ils sont là. Pas d’harangue politique (ou très brève) mais plutôt l'expression d'une assez forte diversité (plus forte qu'elle n'y paraissait de prime abord même si elle s'est encore enrichie par la suite : des ruraux, des urbains, des précaires, des non précaires, des moins jeunes, des syndiqués ou non...). De plus, finalement, très peu de policiers présents, ce qui a permis de ramener un peu de calme propice à l'élaboration après toutes ces manifestations très violentes. Je n'ai donc même pas pris la parole, trop heureux de revoir se créer de la rencontre entre nous.
Finalement le débat est arrivé et quelques uns ont demandé à migrer place du Parlement (la place interdite par la préfecture). Cela a débattu un petit moment mais dès le début du débat, la décision était convenue. Une forte majorité ne voulait pas se faire matraquer ou ne voyaient pas dans le parlement un lieu plus symbolique (finalement, nos problèmes viennent aussi du pouvoir politique, s'en tenir loin n'était pas forcement une difficulté). Il n'y avait pas non plus de volonté de provoquer une réaction immédiate mais au contraire, de maintenir la pression en restant sur la place longtemps. J'ai prêté mon chapeau pour collecter une participation collective : des barnums ont été acheté, du pain, de l'eau. Quelques matériaux ont été récupéré dans les bennes alentours.
Moi qui pensait juste venir de 18 à 20h pour jeter un oeil, j'ai regardé ma montre assez tard : vers une heure du matin, et la mobilisation était encore bien forte. Rester toute la nuit ne semblait pas juste une velléité symbolique mais plus une évidence. Finalement, j'ai cédé et suis rentré vers 2h30 pour garder des forces pour le lendemain. La nuit s'est poursuivis jusqu'au petit matin, pour les quelques motivés.
De l'esplanade Charles de Gaulle à la place du Peuple !
Le lendemain, on a fait partir des SMS au personnes inscrites pour l'orga (une 50aine et ça s'est beaucoup gonflé par la suite) et tout avaient été démonté puis remonté en fin de journée. La veille n'avait pas juste été un rêve, au contraire, ça se poursuivait. La mobilisation était annoncé pour le samedi aussi on s'est fixé l'objectif de maintenir au moins jusque là. L'idée est venu sur le groupe Facebook de renommer la place car comme il a été décidé la veille de s'y maintenir, nous voulions lui donner une image qui nous ressemble plus. Charles de Gaulle était un grand homme et un résistant mais il a aussi été l'homme de la 5ième République, de mai 68, et, surtout, un militaire. D'ailleurs, l'ancien nom de la place était le Champ de mars. Une histoire un peu difficile à porter par notre mouvement. Et au delà, tout leader qu'il a pu être pendant la guerre, il reste l'image d'une politique dépassée, corrompues et dont le temps est révolu.
Aussi, on en a parlé avec plusieurs, on a commencé à se demander comment faire, avec qui, tout ça. Puis des idées ont été lancées. J'ai pris une feuille et j'ai commencé à noter. Puis j'ai laissé la feuille à un groupe et suis parti en chercher une autre pour collecter plus de propositions. On a poursuivis comme ça jusqu'au samedi matin. Peu à peu des personnes se sont proposées pour aider à faire un vote et inaugurer la place. Le samedi, on a donc fait le vote. Il y avait des jeux de mot comme Nathalie apeurée (en jouant sur le nom de famille de la maire, Appéré, et sur le fait qu'elle nous ai éloigné de son centre bourgeois) ou Place Tien à Rennes. Il y avait des notions politiques ou partisanes (Agora, Place à l'autogestion, Place Rouge, Place de la liberté, Place Assanges, etc). Quelques plaisanterie aussi comme Place Gattaz, Forbe ou des infiltrés. Des notions un peu poétiques comme la Place de l'Utopie, des possibles ou même place du 32 mars 2016.
Vraiment beaucoup d'idées, près de 70. Durant le vote des propositions ont même été complétées. Finalement les propositions qui ont fait sourire n'ont pas été plus votées que ça et une proposition est réellement sortie du lot très largement. C'était la Place du Peuple (86 votes qui on inclus la variante "place au peuple"). Fait amusant, peu de places avec ce nom en France. L'idée est simple, sans second degré, ou référence subtile. Bref, après le dépouillement, je l'ai annoncé à l'assemblée, en nombre car les étudiants nous avaient rejoints et la proposition a été confirmée très largement.
Quelques critiques cependant, sur le fait que ce n'était peut-être pas aussi politique que de casser un commissariat (ce que les étudiants venaient de faire après s'être fait violemment agressés par les CRS toute l'après midi). Certes, mais le sujet n'était pas trop là. Nous avons réalisé des pancartes avec plusieurs. Puis on est parti accrocher et inaugurer la place. Personnellement j'ai trouvé cette place déjà plus agréable.
Pourtant entre étudiants et les 'historiques' de la nuit debout, les badauds, ça chauffait un peu. Quelques incidents d'une poignée au sein de nos installations et une différence de pratique politique (les étudiants habitués des harangues au micro, un peu déçu de voir ici des petits groupes, et réciproquement, la Nuit Debout, un peu moins à l'aise avec l'expression très populaire des jeunes des quartiers). Ca a fini par créer deux groupes. Les étudiants voulaient faire leur AG, ils ont donc parti chercher du matériel et se sont installé un peu plus loin. Le groupe de la Nuit debout est resté sur la tribune principale. La place est grande, une chance ! Par la suite la tension est redescendu et les groupes se sont mêlés dans une ambiance plus festives (cette mobilisation de samedi avait réellement été éprouvante, et cette relâche était bien méritée). Cette confrontation était inévitable mais elle a fini par être plutôt constructive, chacun commençant à se faire un peu plus confiance.
Un feu a été fait par une petite poignée. Ca a à nouveau exacerbés quelques tentions. Et l'autorisation de la préfecture ? Et ces morceaux de bois de qualité qu'on jette au feu sans égard pour ce que beaucoup aurait pu en faire alors que du petit bois était disponible en cherchant un peu ? Au final, quelques traces sur la place et l'avis est plutôt partagé entre la bonne idée d'avoir pu profiter d'un feu qui nous a tenu chaud (au corps et au coeur) et celle qu'avec un brin de préparation, on aurait fait aussi bien mais sans gâchis et sans abîmer la place. Cela ne devrait plus se reproduire pourvu que nous nous organisions pour faire ça plus proprement (mais le manque de moyens est criant), c'est même encore plus compliqué désormais (voir juste après).
Construire en dur
Au fil des jours, nous nous sommes épuisés à monter/démonter (surtout à démonter car cela repose sur moins de personne, et c'est à faire tôt le matin). De plus, la ville qui ne se prononce surtout pas, ignorant comme à son habitude toutes les initiatives qui la remettent en question, fait un travail de sape discrète. La maison des associations dont la gestion a été confiée à une association qui est subventionnée quasiment exclusivement par la ville (un wiki à 20'000€ / an par exemple) a fait pression pour que nous quittions le local poubelle (qui pourtant nous était prêté par une autre structure indépendante, le 4bis, à coté). La motivation officielle (mais assurément pas celle initiale) est que nous avions dans le même local du carton et de petites bouteilles de gaz (les petits trucs pour réchaud de camping, la ville n'ayant pas voulu nous ouvrir l'électricité alors que l'espade est bardé de trappes qui servent notamment à la fête foraine). Certes, c'est interdit... il a fallut rendre les clefs qui nous seront peut-être rendu un jour (mais seulement si on est sage, n'est-ce pas les enfants ? Surtout, continuez à vous abstenir de voter et ne commencez pas à dire que vous voulez un autre monde !).
Avec quelque uns, la décision a été prise de construire en dur sur la place pour couper du vent et de la pluie une petite équipe qui puisse rester sur place un maximum et offrir les premiers soins (samedi, plusieurs personnes blessées sont passés par la place, sans trouver plus d'un peu d'alcool à 70 et des mouchoirs : notamment une personne matraquée salement à la tête ou d'autres avec des grenades qui ont explosées dans les jambes). Aussi un moyen de faire de cette place quelque chose d'accueillant (car elle ne l'est absolument pas : dominée par le Gaumont et une salle de spectacle dénommée, ironiquement, "le liberté" - mais dont l'entrée est payante, ce serait l'anarchie sinon ! - ). Un point de rassemblement et de calme pour les familles et les blessés lors des manifs.
Au début, j'étais un peu seul. L'idée plaisait mais on ne savait pas trop si on avait le droit, si on avait le matos... Au final, j'ai demandé aux petites groupes sur la place qui était motivé. Tout de suite une petite dizaine de personnes loin d'être manchots se sont proposées. On ne savait pas où, on ne savait pas avec quoi, on avait juste quelques outils et on savait pourquoi on le faisait. On est parti chercher dans les bennes de quoi construire. Dans notre pays l'abondance est absolue et il n'y a réellement qu'à se pencher pour trouver ce qu'on cherche. On a trouvé quelques palettes bas de gamme ou cassées, on a rafistolées, on a trouvé du bois plus dur, des structures, on s'est fait donner une bâche, trouvé un tapis pour l'isolation...
Au passage, pas mal de monde s'est approché, pour voir et participer. Des gars, des filles. Des personnes qui ont proposés de nous mettre le wifi (certes, un besoin pas très primaire), d'autres pour prévenir que les flics étaient dans les environs (et en même temps, difficile de faire ça plus officiellement sur cette énorme place avec des caméras partout) ou pour nous apporter du matériel complémentaire, des outils pour la déco et organiser la collecte des médicaments pour la pharmacie. C'était très créatif, très concret. On ne savait pas si elle est toujours debout le lendemain mais ce n'était pas le plus important. On a réussi à le faire, et c'était très encourageant.
Enfin, elle a été inaugurée. Le nom a fini par tomber sous le sens : La maison du Peuple, en référence au nom de la place et au symbole qu'elle incarne. Maison sans porte, évidemment !
A noter enfin qu'on a pris garde à ne pas dégrader et qu'on a fait tenir la cabane sans amarrage pour éviter tout prétexte à nous déloger. A noter aussi que la déclaration en préfecture a été faite. Juste le permis construire qui manque ... mais on n'a pas coulé une chape en béton non plus (et puis y en a déjà à souper du béton partout !). Et eu égard aux symboles, il serait bien dommage pour la maire de s'en faire une mission que de la casser. Quoique la maison du Peuple, pas notre cabane, mais celle incarné par notre système social et notre vivre ensemble, elle prend des coups tous les jours. Y compris, voir surtout, par notre députée-maire !
Le plus ironique dans l'histoire, c'est que j'ai du seulement planter deux clous au final. Je suis loin d'être le plus doué et le projet a réellement été pris en charge par chacun, très naturellement.
Le lendemain et le surlendemain, aujourd'hui, elle est toujours en place. D'autres constructions, temporaires, mobiles, du mobilier aussi. Pas mal de projets. Non loin, d'autres ont créé un petit potager (sous la place, il y a un parking géant alors ils ont apportés des pots). De la nourriture gratuite (ou plutôt à prix libre) a été mise en place. La cagnotte pour contribuer aux quelques achats de base a aussi été enrichie. On est plutôt économes !
Les difficultés
C'est extraordinaire de venir sur la place selon ses dispos et de toujours trouver des personnes prêtent à changer le monde et prêtent aussi à commencer par te filer un coup de main dans ton micro projet. Des textes ont été produits. Des discussions sur pas mal de choses. Un bibliothèque libre. Des films, ça marche bien les films. La volonté de faire un concert si on trouve un groupe et qu'on arrive à l'organiser.
Bon, mais ne pas croire qu'on puisse tout faire. Le local nous a été retiré comme je dis plus haut et on nous "propose" de nous former en association. C'est très bien la loi 1901 mais ce que nous faisons n'est pas de nous former sous une forme que la préfecture peut contrôler et comprendre. Nous créons plus qu'une association, nous investissons l'espace public et nous mener nous initiative publique. C'est très différent car une association, c'est du domaine privé. Les plus grosses ont quelques milliers d'adhérents mais notre initiative, elle, elle est ouverte à la population rennaise, à toute la population. Les médias attendent des portes paroles, certains habitants qui viennent voir demandent qui est l'organisateur : c'est simple, tout le monde qui le veut bien.
Certains penseront que c'est prétentieux de vouloir changer le monde, qu'on est une minorité sur les places. Je crois juste qu'on est au début de quelque chose. Et même plus : nous sommes dans la continuité d'une gronde qui monte partout dans le monde depuis des années. Demain nous ne seront peut-être plus sur la place si la préfecture décide que la récréation est terminée mais nous restons des citoyens français (ou du monde) et nous resterons à œuvrer pour que ça change. Il y a chaque jour de nouvelles personnes à nos réunions. Une diversité plus en plus grande aussi. Des familles se risquent à venir. Des personnes aux idées moins humanistes aussi. Enfin y a aussi d'autres personnes qui souffrent depuis tellement longtemps qui n'espèrent plus rien de personne mais sont quand même venu nous dire que dormir dans la rue pendant 30 ans, c'est possible... et que tout le monde s'en fout.
Alors on s'organise un peu sur internet mais la plupart du temps, on se voit dans la rue, on discute. On est obligé d'entendre quelqu'un à la tribune, qu'on ait envie ou pas d'entendre. On fait quelques activités avec des personnes qui sont parfois à 2 rues de chez nous mais qu'on n'a jamais pris le temps de considérer. On ouvre un peu nos esprits et on créer sur l'espace public quelque chose qui n'a jamais existé : on créer un espace qui appartient à tout le monde et où la créativité est encouragée.
Ce n'est pas prétentieux, c'est ambitieux. Nous sommes trop nombreux sur cette même planète et si ces espaces dit "publics" continuent à être privatisés, le monde deviendra trop petit pour tout le monde.
2 réactions
1 De respect - 15/04/2016, 18:23
"C'est très différent car une association, c'est du domaine privé".
"Les plus grosses ont quelques milliers d'adhérents mais notre initiative, elle, elle est ouverte à la population rennaise, à toute la population"
2 De Mistral Oz - 21/04/2016, 13:06
Une association est du domaine privé, les renseignements, prenez-les dans le cadre du droit et pas juste sur vos critères moraux de bien et de mal. Le privé peut-être éthique et c'est très bien mais ça n'empêche que ce soit de droit privé. La société ne peut pas dicter ses volontés à une association car elle est régie par ses adhérents (et parfois même uniquement une partie d'entre eux en fonction de contrat passé entre ses fondateurs, à titre individuel). Le droit européen ne fait d'ailleurs pas de distinction entre association et entreprise, seule l'objet social peut éventuellement être pris en considération. De plus, une association est sous contrôle préfectoral (renforcé dans le cadre des restrictions de libertés de l'état policier dit "d'urgence") or s'il n'y a pas la volonté d'identifier les partis prenants de cette initiative, c'est justement pour que chacun et chacune puisse en être un maillon, sans contrat.
Je ne comprends pas votre agressivité dans votre commentaire. Dire la vérité n'implique pas un jugement de valeur, sauf à avoir des critères moraux assez restreint. Dans le cadre des nuits debout, la volonté est d'investir la sphère publique et de créer une initiative qui sort du cadre individuel. Ce n'est pas "moi", ce n'est pas "mon initiative", je participe très modestement à ce nouveau genre d'implication citoyenne (qui a été initiée par des personnes bien plus impliquées). Je regrette seulement que l'on veuille renfermer cette initiative à quelque chose de quantifiable et d'individuel alors qu'au contraire, si vous êtes sensibles au respect et à l'ESS, vous devriez adhérer à de nouvelles formes d'implication citoyenne qui ne renferme pas une initiative qu'à un cadre associatif.
Enfin, je suis membre de plusieurs associations, j'en ai fondé, je suis encore au bureau de certaines et j'ai pu voir diverses formes. Certaines très démocratiques, d'autres moins. J'ai pu aussi voir que sous couvert d'ESS, le meilleur comme le pire se côtoie. Les travailleurs sociaux en savent quelque chose avec des sous-contrats, des conditions sociales et salariales déplorables au prétexte que ce serait une vocation. Je ne suis pas d'accord avec ça, et je pense que chacun, et surtout s'il s'implique dans le social, doit pouvoir lui aussi disposer d'une protection sociale. La libre association est un droit à défendre (et il est fortement mis à mal par l'état policier) mais faut savoir aussi sortir du chemin balisé, se remettre en question et innover.
On va dans le mur et on y va en toute "urgence". Serait peut-être temps de faire autrement.