Les trois œuvres
A l'entrée, une demie-sphère imprimée sur la vitrine exprime la visualisation de 10 000 points, pouvant être autant d'individus. Le visiteur peut ainsi se représenter être l'un d'eux, imaginer des interconnexions, des opinions, la "masse" sans être noyé dans la multitude. Un point reste un point, de près il existe individuellement, en s'éloignant, il se confond et devient une composante de cette demie sphère. C'est son individualité qui permet au tout d'exister.
Crédit : Séance publique de Jean-Benoit Lallemant, 2016 (photo CC By Mistral Oz)
Plus loin, dans ce que Le Volume nomme "La rue", se trouve une barricade. Cette barricade est constituée de 10 000 pavés imprimés à partir de photos prises sur google street view de la place de la Bastille. Cette œuvre est nommée "DDoS" (pour "Distributed Denial Of Service"). Cette méthode est notamment utilisée par les Anonymous contre des sites gouvernementaux trop sécurisés pour une attaque plus subtile (il est très difficile de se prémunir d'une attaque DDoS car il s'agit d'une multitude d'attaques qui obligent à mettre en place une puissance de calcul au moins équivalente pour la repousser). Généralement, cela se traduit au moins par un ralentissement du service, et même très souvent par une indisponibilité temporaire (on dit alors que le service "tombe", dépassé en capacité par l'attaque). L'analogie avec la prise de la Bastille et la révolution française est évidemment le fil rouge. Quid des révolutions de l'ère numérique ? Esthétiquement, cette multitude de pavés ne passe pas inaperçue. Quels matériaux ont été utilisés ? Il y a-t-il réellement 10 000 pavés ? La forme est-elle pleine ou vide ? Bien sûr la feuille de salle répond à la question... mais d'un point vue plus empirique, le visiteur est ramené à nouveau aux mêmes questionnements.
Crédit : Distributed Denial Of Service attack de Jean-Benoit Lallemant et Richard Louvet, 2016 (photo CC By Mistral Oz)
Enfin, dans la salle d'exposition attenant, se tient Kim Jung Il. C'est sûrement l’œuvre la plus aboutie de l'exposition, et elle joue sur le contrôle des médias et de l'image publique. Sur un socle qui donne une impression monumentale, se tient un petit bonhomme... flou. Pour Jean-Benoit Lallemant, c'est un jeu sur la perfection que promeus la "République Populaire Démocratique de Corée". Kim Jong Il, qui était le prédécesseur de son fils (Kim Jong Un, actuellement au pouvoir), se devrait d'être l'expression de la perfection. Or, par les techniques modernes, par l'immédiateté et la perte du contrôle sur le média qu'est aujourd'hui Internet, c'est la propagande Coréenne de ce symbole de l'Etat parfait, qui s'effondre. Un peu de modélisation 3D, un effet grossissant, du prototypage rapide et, hop ! Et si la Corée du Nord est une caricature orwellienne, le contrôle de l'image publique est une constante chez l'ensemble des dirigeants de la planète. Internet serait la possibilité d'un miroir grossissant sur certaines images à proscrire ?
Crédit : Kim Jong Il (Reformcrime) de Jean-Benoit Lallemant, 2016 (photo CC By Mistral Oz)
Retour sur la demie-sphère
L'ensemble est assez impressionnant et il y aurait sûrement plus à dire sur les deux autres œuvres, qui font l'objet d'un travail de plus longue date. Cependant, vous comprendrez, je m'attache particulièrement à la question de la demie-sphère. Elle reprend une préoccupation plus ancienne que j'avais sur la visualisation des données électorales : les statistiques on leur fait dire ce qu'on a envie. Lorsqu'on passe à un chiffre en pourcentages, on élude la portée individuelle de l'expression. De plus, comme on a pu l'entendre lors des régionales, mettre un papier dans l'urne pour faire son "colibri", est-ce vraiment encourageant ? Encore plus si on a envie d'être gouverné par aucun des candidats présenté. La progression électorale des partis est toujours exprimée en pourcentages des votes exprimés. Pourtant, en valeur absolue, l'observation n'est pas similaire :
- Le vote blanc ne figure jamais dans les médias (ni dans les chiffres de l’abstention, ni dans ceux du vote exprimé)
- Il suffit que la participation ne soit pas identique d'une élection sur l'autre pour que le chiffre en pourcentage puisse faire croire à une forte progression alors qu'en réalité, c'est seulement l'abstention qui grandis plus dans les autres partis que dans celui observé
- Savoir que nous avons XX voisins de plus (ou de moins) qui votent pour l'un ou l'autre donne une indication plus facile à se représenter d'une élection sur l'autre.
Bref, pour en revenir à la demie sphère, c'est l’élément géométrique qui a semblé le plus pertinent : il découvre sur sa bordure le maximum d'espacements entre les points et laisse suggérer facilement l'ensemble, y compris dans la masse. Ainsi, il y a ce jeu en s'éloignant et en se rapprochant qui permet une vue très globale sans avoir besoin de passer par un camembert ou à un histogramme qui aurait diminué l'individualité de chacun des points.
Pour la suite, plusieurs choses sont en réflexion, et que je ne dévoile pas plus car c'est toujours en élaboration mais nous pourrions animer cette demie sphère (sur Internet) et/ou jouer sur les couleurs des points (pour identifier une opinion). Cela présente des enjeux politiques, esthétiques et techniques. De quoi se motiver pour un bout de temps.
Pour en savoir plus
Pour visiter l'exposition au lieu : Le Volume (av. de la Chalotais – 35770 Vern-sur-seiche).
Le site de l'auteur : http://www.jeanbenoitlallemant.com