Les réactions au premier tour

J'ai fini par voter pour un candidat au premier tour après avoir très longuement hésité avec le vote blanc. J'ai été étonné des réactions des gens, parfois d'amis, lorsque je leur disais que je pourrais voter blanc. Le sentiment qu'en face c'était en dehors de leur entendement et que ça remettait en cause toute leur manière de voir la démocratie et la république. Ce vote blanc est évidemment un vote contestataire, un vote "anti-système" mais pour les sympathisants d'un homme providence, que quelqu'un puisse vouloir ne voter pour personne, pas même leur candidat, ça a pu en mettre certain dans une colère assez disproportionnée.

Cette colère, si on essaye d'en deviner la cause, est évidemment lié au fait que de part leurs engagements citoyens, ils se sentent responsable du soutien à leur candidat. Cependant, pourquoi dans ce cas il y avait plus de colère pour un vote blanc que pour un vote pour un autre candidat que le leur ? Mathématiquement, lorsqu'on vote blanc, on n'influence pas le vote alors que si on vote pour un autre candidat, on l'influence négativement pour tous les autres candidats.

Le vote, un rituel démocratique ?

On ne peut pas faire de généralité mais au moins pour une part d'entre-eux, je sens comme une perte des repères. Un peu comme expliquer au monde que la terre est ronde alors qu'elle a toujours été plate et qu'en regardant à perte de vue, on ne voit un horizon droit. Si on accepte plus de voter pour une des options présentées, c'est comme si nous ne voulions plus de la démocratie. Cet éréthisme est insupportable si on s'imagine que la démocratie ne vit que grâce au vote. Et c'est la première des croyances à faire tomber.

En société, on vit grâce à des rituels. On se dit "bonjour", on se souhaites la "bonne année", des fêtes religieuses, laïques et tout un tas de choses. Ca ne fait pas société pour autant mais si on rompt ces conventions, on se mets non pas en dehors d'un "système" mais en dehors de la "société" (et c'est beaucoup plus grave d'être a-social).

Alors, non, le vote n'est pas la démocratie. Si on regarde la paille dans l’œil du voisin, on voit beaucoup de pays gouvernés par des élections et qui ne sont pas (de notre point de vu) démocratique. Alors oui, en France on avait 11 citoyens qui pouvaient être candidats, et 48 M de citoyens en capacité de voter. C'est pas trop mal mais on ne juge pas une démocratie sur le fait de faire voter les gens. Sinon, le moindre supermarché serait une démocratie évolué avec leurs systèmes de vote placés en permanence un peu partout dans les rayonnages.

Donc le vote peut-être un outil au service d'une démocratie mais ce n'est pas l'outil qui défini la démocratie. Et on peut même se demander si cet outil est nécessaire en démocratie. Selon Paul Ricoeur, « Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c'est-à-dire traversée par des contradictions d'intérêt et qui se fixe comme modalité, d'associer à parts égales, chaque citoyen dans l'expression de ces contradictions, l'analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d'arriver à un arbitrage ». Cette définition est perfectible mais elle résume les grandes lignes. Ainsi, on ne peut pas dire "démocratique" une société qui écraserait les minorités politiques au profit de la majorité (ça s'est fait mais on a vite requalifié ça de génocide et de dictature).

Le vote est donc un outil, mais on pourrait le remplacer par un tirage au sort, ou si on a pas peur des dérives par un supercalculateur en charge de prendre soin de nous (un Big Brother). On peut aussi chercher le consensus et dans un petit groupe, pour chercher un resto, on va plus facilement chercher le consensus que faire voter la majorité : ce n'est pas par générosité mais juste parce qu'on cherche à ce que chacun y trouve son compte pour passer un bon moment ensemble.

Cela dit, je ne vais pas proposer Big Brother à la place du vote. Je veux juste montrer qu'on a pas à avoir peur de ne pas faire son rituel démocratique en votant. La démocratie, elle se vit tout les jours et pas tous les 5 ans. Et en France, malgré toute les imperfection de notre système, cette démocratie s'exprime beaucoup mieux entre les élections qu'au moment du vote : on peut lire, exprimer des opinions, créer des groupes d'intérêts, penser et mener beaucoup d'actions. On peut aussi être respecté même lorsqu'on représente une minorité (en fait, on est toujours une minorité relative d'un certain point de vu). Ce n'est pas parfait, il y a des exceptions, mais c'est un objectif parcouru.

Le vote, en France, c'est quoi ?

Alors, on a les référendum : oui ou non à une question qu'on n'a pas pu construire. C'est pareil que les petits sourires du supermarché. On vous demande si vous avez apprécié le travail de la caissière, pas si vous voulez diminuer les prix de 10%. On pose des questions mais on se méfie un peu des réponses alors on cadre un peu.

On a aussi les élections de représentants. On vote pour un candidat et on peut soit-même être candidat. Cependant, pour être candidat il y a énormément de barrières. Si on avait 11 candidats au premier tour, ce n'est pas par manque de civisme des 48 millions d'électeurs. 

Après, il y a le mode de scrutin. En deux mots, on vote pour un panel de deux choix (le premier tour) puis on départage les deux champions au second tour. Il y a quelques élections où c'est un peu différent mais on retrouve le même système un peu dans tout ces modes. L'objectif est d'éliminer les candidats minoritaires pour donner une majorité franche au gagnant. On ne peut pas voter pour ou contre plusieurs candidats. On ne peut pas voter pour une personne qui n'est pas candidate. On ne peut faire élire un candidat minoritaire (par exemple, un candidat qui fait 20% n'a pas 20% du pouvoir mais n'en a aucun : dans d'autres pays en Europe, bien souvent, le pouvoir est relativement proportionnel grace à des systèmes parlementaires qui n'existent pas en France).

Bref, je ne peux que vous conseiller cette vidéo là qui explique un peu les choses.

Ou une vidéo plus courte (mais moins convaincante).

Bref, on fait "barrage" au FN comment ?

Ben alors déjà on peut ne pas voter pour lui. Oui, c'est très simple mais concrètement ça veut dire de convaincre ceux qui vote pour lui que c'est une mauvaise idée pour eux. Si on fait baisser le nombre d'électeurs, on fait baisser le score mécaniquement.

Pour se faire, ça veut aussi dire de voter pour des propositions qui vont combattre les causes. Je ne vais pas me lancer sur l'analyse du vote FN dans ce billet mais il y a de vrais problèmes d'éducation, de pauvreté, et de démocratie. On sait que le solutionnisme du FN ne peut pas fonctionner : et d'ailleurs pour action concrète, en général on a surtout du détournement d'argent public au profit des élus. Donc ça ne sert à rien de chercher à appliquer leur programme à leur place... faut juste mener des politiques réellement efficaces. Pour ça, on peut déjà montrer qu'on est différent en ayant des élus moins corrompus que ceux du FN (ce n'est pas gagné, et pourtant ils placent la barre haute) et mener des politiques sociales (un argument qui revient souvent sur la "misère du monde" est qu'on ne s'occupe pas assez des habitants, et c'est vrai... même si les migrants et les réfugiés n'y sont pour rien).

On peut aussi, et il faut le faire, manifester, s'engager dans des associations, dans des actions politiques, dans des actions solidaires. Oui, en France, on a le droit de le faire alors faisons-le. Alors qu'on critique ceux qui votent blanc une fois tous les 5 ans, on pourrait se poser la question de ceux qui tous les matins en se levant, ne votent pas. C'est tout les jours la démocratie, ce n'est pas une fois tous les 5 ans. Tous les jours il y a moult actions engagées et ces actions il faut les soutenir, les renforcer, les défendre. Alors comme on peut mais si on vote tous les 5 ans, on peut aussi prendre du temps par occasion pour s'engager activement.

Et bien sur, on peut voter pour le candidat qui est en face si on veut le favoriser sur son concurrent. On peut aussi voter blanc ou s'abstenir pour marquer son rejet du choix proposé. Ce sont deux options légitimes, légales et respectables.