Le Parti Pirate a instauré en 2012 une "do-o-cracy" dans son fonctionnement interne. Qu'est-ce que c'est que cela ? Et aujourd'hui quels constats ? Quelles suites pour les partis pirates ? 

C'est quoi ?

L'idée de do-o-cracy consiste à donner plus de pouvoir à ceux qui agissent. On aurait pu faire un système à points : à chaque réalisation, on offre plus de "voix" à ceux qui ont agi. C'est compliqué et au Parti Pirate, on a préféré faire plusieurs choses :

  1. On a supprimé le pouvoir de l’exécutif. Dans une association, il s'agit du Bureau et particulièrement du Président (qui peut généralement prendre beaucoup de décision de sa seule autorité et qui représente le collectif aux yeux de tous en interne et en externe). Le pouvoir du Bureau a été dilué en supprimant l'élection directe des élus (ils sont désignés par un organe fédéral et sont donc des agents et non des représentants), le rôle du président a été réparti entre les secrétaires nationaux et les porte-paroles, les responsables ont été nommés par binôme et enfin toutes les décisions moyen et long terme reviennent à l'instance fédérale ou aux adhérents en AG.
  2. L'instance fédérale (Coordination Nationale) regroupe les sections régionales et les sections thématiques. Initialement avec chacun une voie, elle permets à chaque section d'agir au niveau local (sur un secteur ou sur une thématique)[1]. Elle a un pouvoir considérable mais de par sa constitution sous la forme d'un grand collège, elle ne peut pas réellement bloquer les actions, et n'agit jamais de manière radicale (il faut plusieurs mois pour amener de nouvelles choses).
  3. Au niveau individuel, le pouvoir de chacun s'est renforcée car l'instance fédérale agit peu et donc pour agir, il est tentant de s'essayer aux initiatives individuelles. Nombre d'exemples depuis deux ans où des actions ont été menées par une poignée de pirates, parfois même contre l'avis majoritairement exprimé au sein du parti. Il est donc possible d'aller au bout d'une velléité puis de laisser le choix au parti de l'accompagner ou non. Si elle refuse, l'action peut se faire quand même mais sans soutien, voire sans caution.

Il ne s'agit pas de démocratie, entendons-nous bien ! Une majorité peut décider d'une action mais si personne ne met la main à la pâte, elle ne se fait pas. Et même il est quasiment impossible d'empêcher un pirate d'agir (tout au plus, il est possible de faire voter le non soutien, ce qui revient quand même à prendre l'action en considération puisque par défaut, le soutien est le plus souvent acquis).

Parti Pirate est une société idéale ?

Un parti politique n'est pas une société. Un article de "Ploum" écrit qu'il y a contradiction entre le fonctionnement interne et le programme politique. Or ce n'est pas une contradiction car un parti politique est partisan, et est fondé autour d'un collectif non représentatif de la société. Son fonctionnement interne régit son efficacité mais les adhérents du parti ne sont pas des sujets, ils sont libres de leurs actes et leur adhésion est soumise à une vigilance constante. Dans la société, la chose est bien différente et on invite à faire cohabiter des intérêts contraires, divisés et il faut arbitrer ces contradictions : il n'y a pas le choix de partir (n'en déplaise au "tu l'aime ou tu le quitte"), et donc il faut y parvenir. Dans un parti politique, il y a le choix, et l'impératif n'est pas du tout le même. On ne peut pas transposer les deux situations.

Alors oui le Parti Pirate souhaite une société empreinte de démocratie ... mais il souhaite aussi une société plurielle et cela inclut l'opposition et les chemins de traverse. Pour y arriver, nos candidat-e-s présentent ces valeurs et présentent aussi des promesses électorales. Ces promesses incluent des choix moyen-terme prédéterminés (faut-il arrêter les centrales nucléaires ? La réponse ne peut pas être qu'on va consulter l'ensemble de la planète et donner une réponse dans 5 ans : il faut promettre un arbitrage, tout en restant au contact des électeurs pour envisager les choix plus long terme : développer les énergies renouvelables ? Qu'est-ce que le renouvelable ?).

Oui nous avons beaucoup de candidat-e-s jeunes (sinon en âge, au moins dans la sphère politique) mais si ceux-ci n'expriment pas l'expérience du terrain, ils ne sont pas regardés avec sérieux (et peut-être est-ce ce qui nous fait défaut actuellement : là où on fait de meilleurs scores, ce sont principalement dans des endroits que nos candidat-e-s connaissent très bien). Il ne suffit pas de promettre une consultation pour être élu : il faut d'abord exprimer une position (et donc avoir fait la consultation au préalable). Si cette position est minoritaire, il ne sera pas élu mais il serait de toutes manières très mauvais à défendre ce qui ne le convainc pas lui-même (la consultation, doit justement permettre d'obtenir un consensus et donc une conviction commune).

Donc non Parti Pirate n'est pas un micro-Etat et la vision d'une société idéale n'est pas une société pirate mais une société plurielle, faisant une place plus large aux positions ouvertes, démocratiques et responsables (ce qui est défendu aussi par d'autres partis politiques, souvent même plus petits que le Parti Pirate).

Et les partis pirates vont bien ?

L'objectif n'est pas atteint et il y a du chemin. Nos structures vont sûrement encore beaucoup évoluer et des divergences naîtrons peut-être pour former plus de pluralité. Dans les grandes lignes, il y a quand même un verre à moitié plein (une assez bonne adhésion au programme, une "notoriété" qui augmente sans que "l'image de marque" en pâtisse, ...) et un verre à moitié vide (peu sont nos candidat-e-s aptes à être élu-e-s, un parti qui a du mal à aider ses candidats et à suivre l'administratif au quotidien, ...). Nous somme en chemin, et un objectif est fait pour donner un cap, le jour où il est atteint, c'est la fin d'une aventure.

Force est quand même de constater que ce fonctionnement "do-o-cratique" est en place et qu'il est indéboulonnable. Lorsqu'une personne arrive avec de "bons conseils", il lui est demandé de faire. Souvent, cela décourage mais parfois cela fonctionne et il fait. Et parfois ça marche. Et si ça ne marche pas, l'idée reste à mûrir et à parfaire. Une chose est sûre : puisqu'il faut agir pour avoir le pouvoir, cela exclut d'emblée la possibilité d'un président omniprésent (il aurait trop à faire). Par contre, cela vaut pour tout le monde et il est difficile pour beaucoup d'entre-nous d'accepter de faire confiance et se focaliser sur son sujet, sans se préoccuper du pré-carré de son voisin. On le voit notamment pour la construction politique où chacun voudrait avoir son mot à dire, mais où les réunions se télescopent parfois et où il faut donc se résoudre à accepter de ne pas être partout à la fois et mener à bien le projet qu'on a pris en charge (et uniquement celui-là). 

Enfin j'ai présenté ici la do-o-cracy du Parti Pirate Français, mais ce n'est pas le cas partout dans le monde. Je pense même que nous somme un des seuls avec un tel fonctionnement[2], dans beaucoup de pays, on retrouve encore le schéma classique de présidence mais le fonctionnement institutionnel de l'Etat n'est pas le même ou le développement du parti induit d'autres fonctionnements en interne. Par exemple en Suisse, on voit que le Parti Pirate fonctionne avec un schéma classique de présidence mais aussi avec un nombre d'adhérents actifs assez réduit (et très actifs) et un fonctionnement fédéral qui réduit la portée des actions politiques autour d'un canton (et sans parler de la tradition démocratique assez enviable... cela fera l'objet d'un autre article d'ici quelques semaines).

Quel avenir pour les partis pirates ?

Il me semble à tout niveau, "l'ultra local" est la seule méthode qui fonctionne correctement dans ce cadre actuellement. L'ultra local, c'est se concentrer sur un sujet et y travailler en petit groupe (ne pas comprendre local uniquement sur l'aspect géographique). Ne pas chercher à s'investir dans des supra-structures car cela implique beaucoup de responsabilités ... et des résultats en dessous des attentes. Inversement, les actions très ciblées fonctionnent plutôt très bien et paradoxalement "s'exportent" mieux (sur la base d'une dynamique victorieuse, il est plus facile de convaincre la masse des "suiveurs" qu'en attaquant en petit nombre un chantier trop large et incontrôlé).

Attention cependant, c'est une réflexion neuve, et elle demande du temps pour être expérimentée. Rien ne dit que ce sera la solution ou que ce soit la seule. À préciser aussi que par "local", il faut comprendre "ciblée", même si la proximité géographique est un atout pour travailler, local s'applique aussi à des réflexions internationales telles qu'elles peuvent être menées par les adhérents expatriés (par exemple). L'important étant aussi de créer un lien direct entre le sujet traité et les préoccupations directes des adhérents travaillant sur le sujet, ne serait-ce que pour apporter des éléments de vécu.

Par ailleurs, il faudrait pour cela limiter au maximum les tâches que personne ne veut faire ou bien les affecter contre rémunération (selon le cadre légal du travail en France), partant du principe que on est vraiment investi que dans les tâches qu'on aime réellement faire. Un adhérent qui demande à travailler sur le programme écologique du Parti Pirate, on peut lui demander de gérer notre fichier adhérents... mais il sera quand même beaucoup moins motivé !

Et pourquoi un parti politique ?

La question peut sembler étrange mais revient très souvent. Si être un parti nous ferme plein de portes, pourquoi ne pas agir sans cadre partisan ?

  1. D'abord parce que toute action sur la société est politique. On peut prétendre le contraire lorsqu'on fait un FAI libre, que l'on révèle des pratiques non conforme dans une chaîne de production ou lorsqu'on manifeste en silence contre les exactions d'un gouvernement à l'autre bout de la planète... mais en vrai, c'est exactement de l'action politique. Elle s'exerce parfois (rarement) hors cadre partisan mais toujours sur la sphère politique et publique. Il faut le revendiquer.
  2. Ensuite parce qu'être dans un parti politique n'est pas une activité à temps plein (pendant les élections, ça l'est un peu... mais c'est pas tout le temps et on n'est pas obligés de s'investir à fond à tous les types d'élection), la plupart des militants pirates sont dans plusieurs associations, dans des entreprises et ont une vie de famille. L'appartenance à un parti politique n'interdit pas de continuer d'autres investissements militants en parallèle, et c'est même au contraire un atout.
  3. Enfin, un parti politique a beaucoup de comptes à rendre, et en échange il reçoit deux avantages quasi exclusifs : aider ses candidats et pouvoir défiscaliser une partie de ses dons. C'est un atout considérable pour les causes que l'on peut défendre et même si l'on dénonce la corruption du système politique, il faut reconnaître qu'en dehors de quelques hommes politique d'exception, l'engagement politique est lié quasi exclusivement à la volonté de faire progresser les causes militantes. Il faut travailler pour endiguer cette corruption systémique mais il faut aussi accepter la vision positive de cette responsabilité pour encourager les déçus du système à le faire changer.

Les répercutions sur "l'image de marque"

Il faut dire ce qui est : c'est bien vu de taper sur les politiques. Et c'est encore mieux de taper sur ceux que l'on aime. À ce titre, on voit parfois des "leaders d'opinion" (conférenciers, écrivains) émettre des avis critiques sur le fonctionnement du Parti Pirate. Pourtant beaucoup d'entre eux sont des personnalités qui ont été ou sont investies dans les partis pirates ("ploum" par exemple, un peu plus haut mais on pourrait en citer des dizaines, d'échelle plus ou moins importante). C'est nuisible à l'image de marque... mais bon pour la notoriété. Au final c'est un bon équilibre et comme le veut l'adage (un peu judéo-chrétien, je vous l'accorde) : qui aime bien, châtie bien.

Notes:

[1] La peur du changement est présente partout et le pouvoir "do-o-cratique" a été un peu mis à mal par deux décisions ultérieures : les sections thématiques n'ont plus qu'une voie consultative et les sections ont plusieurs "niveaux" (selon leur démocratie interne) qui leur donne un pouvoir à la carte. Je le regrette car comme je l'exprime dans cet article, la do-o-cracy n'est pas une démocratie et mixer les deux concepts retire de la cohérence à l'ensemble. Il faut faire un choix et faire les ajustements nécessaire en fonction des difficultés avérées (surmonter les peurs). 

[2] Il existe aussi le Parti Pirate Italien qui a fonctionnement assez original basé quasi exclusivement sur la démocratie liquide.