C'est quoi mon projet de société ? Et comment y parvenir ?
J'ai évoqué dans mes deux précédents articles (celui-ci et celui-ci) certaines difficultés traversées et que traversent encore le Parti Pirate. À côté, mes propres difficultés et je n'ai eu ni le courage ni l'envie de reprendre sur le sujet. Et cette "pause" ne fait que commencer. Je vous explique un peu cela.
Tempête de sable dans un Parti Politique
Enfin,
dans un verre d'eau pour le cas du Parti Pirate. Pas grand chose à dire si ce n'est qu'un Parti Politique qui se fait bouffer comme les autres. On pourrait mettre ça sur le compte de l'entrisme ou juste de la stupidité à l'état pur comme sur l'image (mais c'est un florilège, ça ne manque pas...). Néanmoins le nombre ne fait pas la qualité. La qualité ne fait pas non plus le nombre. Les personnes de qualité ont quitté le navire et pas qu'à cause de ces difficultés. Au final être dans un parti est très contraignant et si on sait comment prendre la parole et mener des projets sans avoir besoin d'un chef, on a pas besoin d'une formation politique. On peut donc faire ce qu'on veut, sans structuration partisane.
De plus, ce n'est pas qu'un problème français ? Le Parti Pirate allemand évoque le même genre de difficultés par exemple. Le problème vient qu'au nom d'une collégialité et d'une ouverture d'esprit assez large, le parti ne se protège pas des comportements qui sont dangereux pour les autres membres. Un comportement dangereux ou illicite, n'est pas sanctionné mais soumis aux voix... et pire : faute de bras, on garde tout le monde (ou du moins on essaye car fatalement quant on se fait agresser, on riposte... ou on se sauve). On peut donc être le plus caricatural des sociopathes et échapper à toute forme de mise à l’écart pour peut qu'on passe sa vie sur quelques taches techniques.
Vous voulez un poste au Parti Pirate ? Pas besoin d'être aimable, pas besoin d'être compétent, pas besoin d'avoir des connaissances. Plus ou moins tous les "postes" à responsabilité sont libres, y a juste à venir pointer son nez...
On peut aussi mettre cela sur le compte du système français
Bien sur, il y a des mauvaises personnes dans tous les groupes humains. Il y a quelques cas d'école au Parti Pirate mais ils et elles ne sont pas les seuls : de mon expérience j'ai pu voir tout type de profil. Pour avoir échangé avec des membres d'autres partis, c'est habituel. L'exposition et le mode de fonctionnement d'un parti fait qu'il est difficile de virer quelqu'un simplement parce qu'il est désagréable ou qu'il a du mal à communiquer. Et puis est-ce vraiment intentionnel ? La société est diverse, il y a de tout, on ne peut pas reprocher juste aux gens d'être mal éduqué. L'enjeu est de parvenir à faire évoluer le groupe ensemble.
Or pour cela, il faut comprendre les institutions en France. Pour donner une illustration, ça demande de faire coexister deux entité administratives (deux associations qui ont chacune des AG annuelles et un fonctionnement démocratique fort où la forme importe autant que le fond). La comptabilité est complexe et est très contrôlée. Ce n'est pas une mauvaise chose : on voit à quel point ceux qui arrivent au pouvoir ont de le plus en plus de mal à cacher les malversations qui les y ont mené (d'où un mépris de la classe politique pour la presse, partagé autant par l'opposition que par la majorité : tout le monde a mouillé, tout le monde veut contrôler la presse). Par exemple pas le droit de se faire prêter une salle gratuitement par
une association amie : beaucoup des problèmes de la présidentielles
tournent autour de ça (soit parce qu'ils ont trop payés, soit parce qu'ils n'ont pas payés assez).
Néanmoins, cela conduit à favoriser les plus riches. On peut contribuer à auteur de 7500€ / an en don pour les formations politiques. Avec la réduction fiscale, ça coûte réellement 2500€. Une paille ! Enfin, à condition d'avoir une grosse botte de foin quand même... C'est presque un demi RSA sur 12 mois (vous savez ce "pognon de dingue", d'ailleurs si on ne paye pas d’impôts, pas le droit à la réduction fiscale : on revient à l'age de la révolution française, seuls les plus fortunés sont réellement des "citoyens actifs" / voir par exemple le
droit de vote).
Cela demande aussi au niveau administratif beaucoup de contraintes qui se traduisent en engagement des bénévoles. Pour économiser, les personnes les plus impliquées dans l'objet social de l'organisation se retrouvent à s'assigner les tâches administratives (qui certes, concourent à la finalité mais prenne tellement de place, que la finalité fini par s'éloigner de la vision court terme). De l'autre, les personnes les moins impliquées vont avoir le temps de définir des objectifs et des actes politiques... mais c'est parfois mal vécu par ceux qui assument les contraintes administratives au jour le jour et doivent faire le SAV de ces actions là (sans pouvoir en initier elle-même).
Le vote n'est pas la démocratie... mais ça l'est quand même
Le "système", c'est aussi nos uses et coutumes. En France, la légitimité naît d'un vote entre deux options supposées contradictoires. Or ce n'est pas parce que l'option A nous déplaît plus que l'option B, que l'ont désirera mettre son énergie (de surcroît bénévole) au service de l'option B. On trouve ici plusieurs biais d’interprétation qui visent à faire croire que le vote est la seule option légitimant une action. Bien sur, il existe des votes à plusieurs choix, des modes de sélections qui permettent de satisfaire plus ou moins de personnes... mais au final, ne passeront à l'action que ceux pour qui la solution retenue ne comporte aucune objection. Certes, en supposant que le processus de vote soit irréprochable (ce qui n'est jamais le cas en pratique), les membres de l'asso n'iront pas déployer de l'énergie contre... mais s'ils ne passent pas à l'action en faveur de l'action, l'asso manque de bras et l'action devient un moteur d'insatisfaction (y compris pour les tenants de l’initiative) et un échec intermédiaire (au contraire de la logique des "petites victoires" comme peut en parler Saul Alinsky et beaucoup d'autres).
On fini toujours par se rapprocher du vote majoritaire à deux options et donc à faire exploser dans une vision binaire des personnes qui concourent pour autant à la même finalité. Ca n'a aucun sens... mais on y revient toujours naturellement si deux options contradictoires ne peuvent pas cohabiter (le parti pirate désormais vire les personnes qui ne défendent pas le programme en totalité au contraire de ce qui existait aux fondements).
Quoi faire si les partis ne permette pas d'exprimer une pensée politique ?
Déjà, on peut "ne pas s'y inscrire" : c'est à dire ne pas perdre son énergie (et donc sa motivation) dans une initiative où vous serez au choix : un gourou qui s'occupera de paperasse administrative, ou un élément suiveur qui ne pourra pas permettre à l'action d'avoir les moyens de se dérouler comme prévu mais on peut s'inscrire sous une autre forme :
- A titre privé, vous pouvez fonder une association ou une entreprise qui aura pour objet la réalisation d'un nombre limité d'idéaux (y compris politiques). Par exemple les restos du coeur : vous vous occupez de donner à manger à celles et ceux qui ont faim. C'est limité, vous aurez parfois des fachos dans vos rangs (comme ce fut le cas de RSF/Ménard), mais au final vous délivrerez 10 repas, 100 repas, 135M de repas... peu importe le nombre, vous accompliriez une partie de l'objectif à atteindre et à vous de juger si c'est suffisant ou non, mais votre énergie aura été utilisée à quelque chose qui concours à la cause.
- On peut aussi faire de la politique sans être sous une forme parti politique. Ca implique de s'unir sous un objet social qui n'a pas pour objectif principal de présenter des candidats aux élections. Ca interdit aussi de soutenir les membres qui se lancent dans cette initiative. Mais concrètement, il est rare que les partis disposent d'assez d'argent pour subventionner la candidature (même les gros partis le font rarement car le candidat investi compte principalement sur les seuils de remboursement électoraux et le parti préfère qu'il souscrive un prêt bancaire). Dans les deux cas l'association (parti politique ou non) peut travailler le fond idéologique, fournir une assise militante et organiser les actions entre les élections. Les autres avantages que fournissent les parti politiques ne le sont qu'aux périodes électorales : ainsi il est moins lourds pour une formation qui n'a pas d'élus au parlement national (indépendamment des élus dans les autres institutions) de créer un parti politique uniquement pour chaque élection.
- Il faut chercher le fond politique en dehors des formations qui ont pour but de présenter des candidats aux élections. C'est un objet social assez lourd et qui est trop prenant administrativement pour permettre le travail sur le fond politique. De plus, chaque élection dispose des blocages à la créativité. On peut donc tout à fait s'instruire et partager des expériences en dehors du cadre politique.
"Chaque élection dispose des blocages à la créativité", comment ça ?
L'élection la moins "bloquée" aujourd'hui est l'élection présidentielle. Néanmoins, elle dispose par nature de blocages :
- Déjà le candidat doit être unique car c'est un scrutin uninominal. Même si certains s'y sont essayée, difficile d'afficher sa trombine sur tous les écrans et de dire en même temps qu'on est pour la fin du système présidentiel.
- Ensuite la constitution est un frein : la constitution fixe des pouvoirs et des interdits. Ainsi un candidat qui promets de consulter le peuple sur tous les sujets doit d'abord prévenir qu'il va réformer la constitution à cette fin (ce qu'il ne peut pas faire sans l'aval des deux parlements). De plus, si la constitution fixe une limite, c'est qu'elle pose des contraintes à des niveaux supérieurs, par exemple dans un traité international. Une idée qui parait simple devient très complexe et implique soit de prendre les électeurs pour des cons en simplifiant à outrance le propos, soit à lui expliquer le détail dans un long charabia compris des seuls constitutionnalistes (non connus pour être de grands innovateurs !).
- Enfin, il y a un rythme à la campagne. Les thèmes qui peuvent être abordés sont généralement fixés par l'actualité, et restent dans un cadre habituel des campagnes. On peut critiquer ici aussi les médias qui vont rarement ouvrir des tribunes libres (et rebondir dessus). Ou même tout simplement les citoyens qui vont poser des questions en lien avec ce à quoi ils ont l'habitude (que penser d'un candidat qui supprimerait la TVA au profit d'une nouvelle taxe assise sur d'autres mécanismes ? La compréhension est-elle possible dans le rythme d'une campagne sur 3 ou 4 mois ?)
Et pour une campagne d'un échelon plus local, les blocages sont plus renfermés. Par exemple pour une élection municipal, difficile de parler de l'éducation (hors primaire) ou de santé.
Hors des campagnes, ces contraintes n'hésites pas. Si un producteur veut parler du plastique... moyennant quelques contraintes éditoriales, il peut le faire dans un long sujet. Si une asso veut élever un sujet au niveau des préoccupations nationales, elle peut mener une campagne de longue halène et y parvenir (par exemple sur la pêche). Et idem même à titre particulier pour un auteur.
Mieux : ils ne sont même pas contraint dans le style de narration. Ils peuvent en faire un documentaire, un essai, une allégorie, de la fiction... Tout est possible. Même les contraintes matérielles ou de l'état de l'art peuvent être basculé via la SF (et quand on est capable d'imaginer un monde où on peut dupliquer un cerveau pour l'enfermer dans une mémoire solide à l'infinie, on se pose plus trop la question du pouvoir d'achat en fonction du taux de TVA applicable).
J'en viens donc à défendre les utopies.
Alors, attention, quand je dis que j'y viens. J'y viens avec quelques blessures et formatages lié à mes expériences (au parti pirate, mais aussi d'autres expériences personnelles dont je parlerai à une autre occasion). Je regrette de ne pas avoir fait ce virage plus tôt. Aujourd'hui je suis encore dépité par la politique et je ne me vois pas être candidat à nouveau avant un moment. Puis après avoir été battus deux fois (3.4 et 0.98%), c'est de toutes manières de bon aloi de faire le bilan au risque de s'inscrire dans une logique de vaincu perpétuel (et de vaincu amère). Les facteurs sont multiples et on peut trouver des centaines de paramètres que je ne maîtrisaient pas... mais peut-être que le principal problème était justement de ne pas avoir fixé un objectif atteignable (et suffisant).
Je retrouve un peu d'énergie pour publier cette conclusion donc je crois que je suis en train de penser les plaies. Je me suis inscrit aussi dans une mouvance utopiste. Non, ce n'est pas un rêve éveillé, c'est un exercice de la pensée. Les contraintes matérielles, constitutionnelles, sociales existent... mais si on veut les changer, il faut commencer par imaginer qu'elles n'existent plus. C'est un exercice pas simple mais qui procure un sentiment de liberté énorme.
Au sein de la fédération des îles utopiques, je m'inscris toujours en partie dans une mouvance pirate (celle d'initiative pirate dont le Parti Pirate a fait table rase au profit d'un site internet et un contenu politique très... "épuré"...). J'y soutien au travers d'actions concrètes des modalités pratique d'un niveau de conscience supérieur. Par exemple en formant des personnes sur l'usage des outils numériques. On peut y parler technique tout comme y parler politique. Le fait de ne plus s'enfermer dans une logique électorale rend l'exercice plus facile car de fait, on peut collaborer avec des idéologies politiques plus larges, on peut confronter notre utopie non plus aux textes constitutionnels... mais à la réalité vécue. Et surtout, on le fait dans la bonne humeurs. Alors oui on aura pas de députés utopistes au parlement européen... mais avant que ça arrive il y a un travail à faire (et non ce travail n'est pas de collecter des sous pour imprimer des bulletins de vote ou de déposer le nom de sa belle sœur sur une liste électorale -pour la parité : sic-). C'est un travail de prise de conscience collective où il faut co-apprendre à penser par soit-même et se former à être des électeurs responsables.
Puis un dernier point pour conclure. J'ai longtemps été, et je suis encore, très exigent sur la probité des personnalités politiques. En voyant la réalité d'un petit parti comme j'ai pu voir. Avec des collusions économiques, politiques, et diverses compromissions alors que le gâteau à voler est ridiculement petit, ça pousse aussi à une forme d’indulgence. Bon ça n'ira probablement pas me permettre de voter pour l'une ou l'autre des listes mais être utopiste et exigent n'interdit pas d'être de faire des choix pour des avancées collectives timides (ou "presque positives"). Lorsqu'on trouve encore une part significative de la population à défendre un gouvernement policier en France, faut se mettre à niveau dans l'exigence collective qu'on peut espérer.